Que signifie le 1er septembre 1920 pour le Liban et la Syrie ?
L"Orient le Jour - 16-9-2017 - Hyam mallat
Avec le retrait ottoman du Proche-Orient en octobre 1918, la détermination du statut juridique des pays placés sous influence française exigeait d'être faite et c'est après bien des atermoiements que fut adopté le principe du mandat avec l'article 22 du pacte de la Société des nations adopté le 28 avril 1919. Celui-ci disposait entre autres : « ...Certaines communautés qui appartenaient autrefois à l'Empire ottoman ont atteint un degré de développement tel que leur existence comme nations indépendantes peut être reconnue provisoirement, à la condition que les conseils et l'aide d'un mandataire guident leur administration jusqu'au moment où elles seront capables de se conduire seules. Les vœux de ces communautés doivent être pris d'abord en considération pour le choix du mandataire... »
C'est dans ce cadre général que doivent être envisagés les arrêtés pris par les hauts-commissaires de France au Liban et en Syrie entre 1920 et 1936, se rapportant à la formation des États du Liban et de la Syrie. L'analyse de ces arrêtés éclaire singulièrement la complexité de la situation et donc de la démarche institutionnelle adoptée pour la formation de ces États et les originalités politiques, humaines et religieuses propres à chacun.
Intégration rapide
La formation du Liban moderne est passée par trois étapes juridiques de reconnaissance des droits, des acquis et des revendications des Libanais au cours de plusieurs siècles. Ces trois étapes ont été initiées via trois arrêtés du haut-commissaire de France de l'époque, le général Gouraud.
La première étape a été l'adoption de l'arrêté n° 299 du 3 août 1920 portant rattachement des cazas de Hasbaya, Rachaya, Maalaka et Baalbeck au territoire autonome du Liban –, soit la mutassarifiyya établie en 1861. Si cet arrêté consacre notamment la reconnaissance des revendications des Libanais pour la récupération de ces cazas, leur intégration provoquera toutefois de grandes oppositions politiques qui ne seront résolues que progressivement à partir des années 1930.
C'est ensuite dans une seconde phase que sont intervenues la création et la délimitation de l'État du Grand Liban, par l'arrêté n° 318 du 31 août 1920 (en vigueur le 1er septembre 1920). L'exposé des motifs de cet arrêté mérite d'être relevé : « Considérant qu'il importe (...) de restituer au Liban ses frontières naturelles telles qu'elles ont été définies par ses représentants et réclamées par les vœux unanimes de ses populations; (...) Le Grand Liban ainsi fixé dans ses limites naturelles pourra poursuivre, en tant qu'État indépendant (...) avec l'aide de la France, le programme qu'il s'est tracé. » Le terme même du Grand Liban ne se référait pas seulement au territoire du pays qui venait d'être pratiquement augmenté du double – avec l'intégration des quatre cazas cités à la mutassarifiyya – mais aussi à l'idée que le Grand Liban était une continuité du Liban de la mutassarifiyya (dénommé alors le Petit Liban). Ce dernier avait été doté à l'issue de la conférence internationale de Beyrouth en 1861 d'un règlement reconnaissant les originalités, et les spécificités politiques et humaines qui ne cessent encore jusqu'à présent de gouverner le Liban, et notamment l'établissement du conseil administratif et du système judiciaire sur base de la répartition confessionnelle. À noter que ce texte était une première du genre dans le monde diplomatique dans la mesure où il intéressait un territoire inclus dans les frontières d'un autre pays (ici, l'Empire ottoman).
Le même jour, une troisième étape est franchie avec la dissolution de la mutassarifiyya, déclarée par l'arrêté n° 321 qui stipule que par suite des modifications territoriales apportées aux divisions administratives actuelles, la circonscription du territoire autonome du Liban cesse d'exister. « Ainsi la dévolution du mandat à la France par la conférence de San Remo (le 25 avril 1920) justifiait sur le plan du droit international public l'arrêté de dissolution d'une situation institutionnelle qui, par son témoignage, avait balisé la voie à la création du Grand Liban.
Hésitations
En parallèle, la formation de l'État de Syrie, qui est elle aussi passée par trois phases successives, a été caractérisée par des hésitations politiques, perceptibles dans la succession des arrêtés qui ont conduit à cette formation et dans leurs justificatifs.
Dans une première phase, le haut-commissaire a promulgué entre 1920 et 1922 plusieurs arrêtés créant des entités distinctes.
– La France commence par délimiter le territoire des Alaouites (arrêté 319 du 31 août 1920), avant d'accorder à ce territoire le nom d'État des Alaouites (arrêté 1470 du 12 juillet 1922), puis de l'instituer en un État indépendant avec Lattaquié pour capitale (arrêté 2979 du 5 décembre 1924). Dans les justifications à ce dernier arrêté, il est notamment stipulé : « Considérant que les populations alaouites et les minorités qu'elles renferment ont nettement exprimé à maintes reprises leurs désirs d'avoir une administration autonome, sous l'égide de la France (...) il importe de constituer un territoire regroupant la majorité de ces populations pour leur permettre de poursuivre leur développement au mieux de leurs intérêts politiques et économiques. »
– Pour Alep, la création d'un gouvernement indépendant dénommé « Gouvernement d'Alep » incluant le Sandjak autonome d'Alexandrette (qui conservera son autonomie administrative) est proclamée par l'arrêté 330 du 1er septembre 1920. Ce texte souligne à la fois la nécessité « de prendre en considération les vœux des populations des régions du wilayet d'Alep et encore rattachées au gouvernement de Damas », et celle « de mettre fin (...) à une situation de fait qui, par une centralisation excessive et désormais inutile, complique l'administration du gouvernement de Damas et entrave la bonne marche des affaires de la circonscription administrative d'Alep ».
– Il y a lieu de relever que lorsqu'en 1922 est finalement créée une Fédération des États autonomes de Syrie qui comprend l'État d'Alep, l'État de Damas et l'État des Alaouites (arrêté 1459 bis du 28 juin), l'État de Damas n'a, contrairement aux deux autres, été ni « proclamé » ou « créé » par le haut-commissaire, mais sa personnalité morale avait été reconnue implicitement et son organisation administrative demeurait identique à celle d'octobre 1918.
– Quelques mois plus tard, la France proclame néanmoins la création d'une quatrième entité, l'État autonome du Djebel druze (arrêté 1641 du 24 octobre 1922) avec pour justificatif « le vœu nettement exprimé par les habitants du Djebel druze au Houran, de former dans le cadre de leurs limites ethniques un gouvernement autonome ».
La deuxième phase intervient en 1924 avec l'arrêté 2980 du 5 décembre unifiant, à partir du 1er janvier suivant, les États d'Alep et de Damas en un seul État qui prend le nom d'État de Syrie.
Cette situation devait perdurer jusqu'en décembre 1936, lorsque la France a décidé de procéder à la troisième phase de la formation de l'État de Syrie, à travers la promulgation de deux arrêtés.
Le premier (arrêté 265/LR du 2 décembre 1936) disposait dans son article 1 que « le territoire du Djebel druze fait partie de l'État de Syrie ». Une intégration notamment justifiée par le fait « qu'un accord a été réalisé (le 9 septembre 1936, NDLR) à Paris entre le gouvernement français et la délégation qui avait été chargée d'établir les bases d'un traité à intervenir entre la France et la Syrie ». Toutefois, l'article 2 se hâtait d'ajouter que « ce territoire bénéficie, au sein de l'État de Syrie, d'un régime spécial administratif et financier », tandis que l'article 4 conditionnait l'entrée en vigueur des dispositions de cet arrêté et donc de l'intégration de l'État du Djebel dDruze dans l'État de Syrie à la « ratification du traité franco-syrien (à laquelle la France refusera finalement de procéder, NDLR) ».
Le second (arrêté 274/LR du 5 décembre 1936) reprenait, pour le territoire alaouite, les mêmes motifs que le premier et disposait en son article 1 que « le territoire de Lattaquié fait partie de l'État de Syrie », tout en conditionnant son entrée en vigueur à la ratification du traité franco-syrien (article 4).
Cette formation définitive de l'État de Syrie en 1936, après celle du Grand Liban en 1920, constitue pour ces deux pays leur dernier état institutionnel à la veille de la Seconde Guerre mondiale et c'est dans cette situation même qu'ils vont accéder à l'indépendance puis affronter toutes les guerres, tous les conflits et toutes les crises de la région. Le réveil des peuples est toujours porteur de drames – autant ou plus dans cette région que dans d'autres – quand la formation même des États porte en elle des risques de peur, de fragilité et de défi.
Avocat à la Cour, ancien président du conseil d'administration de la Sécurité sociale, puis des Archives nationales
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