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à jambages monolithes existe en partie. Elle est d'un bon style, analopue à celle d'Oum el-Awamid, à moulures plates, de peu de saillie; il y a une rainure intérieure dans les jambages. Les matériaux sont de grande dimension. Parmi ces débris était un bloc considérable, de forme presque cubique, offrant sur une de ses faces une curieuse sculpture avec inscription. Les maçons et tailleurs de pierre chrétiens d'Aïnibl m'offrirent de séparer la face sculptée et de la réduire à une dalle assez mince pour la
transporter à Sour sur un chameau. Ils firent ces deux opérations ex- trêmement difficiles avec une rare habileté, et ce monument est maintenant au Louvre, où il est, je crois, le plus curieux spécimen que l'on possède des cultes syriens. Il est représenté dans notre planche LVIÏ,
fig. 3.
L'inscription est fort difficile. J'ai réussi cependant à la lire presque
tout entière :
HMiOAnOAAUJNIlOYCENPIlAIOCIIEAAMANOYCOlKONOMOY
HHIA K A EIT 0 YH r E M O N O C A E r • S-TO N O YAO N E Y[=]A M E NOSYnEPCWTHP I A CTO) N Y10)[N]
ÂNEBHKEN
[Ss]w kltôXkcf)vi, iovcr£vpiiaiïoç(1) HeXoLpidvovs oinovàpiov
[KOÙ Êp]awXefTov -nys^ôvos Xsyç' TOV oùSov eù^dptevos bitèp crwTypioLç TWV vlw[v]
dvédriKsv.
Les lettres de la première ligne sont plus grosses que celles de la deuxième ligne;
c'est ce qui fait que la lacune de la deuxième contient plus de lettres que la lacune
de la première, outre que la première pouvait commencer un peu en recul. Le nom
au nominatif est la seule chose qui m'échappe. Le N paraît avoir été barré ou retouché;
cette lettre offre l'aspect d'un N et d'un H superposés; le caractère qui précède OLIOS
se présente à l'oeil comme un U; peut-être est-ce un M; cependant les M de l'inscrip-
tion n'ont pas cette forme. îotxrep/xatbsou ïovcrsvyppicûos, est d'ailleurs peu satisfaisant.
SeXajxoÊinjs (Selmmi) est un nom commun dans le Hauran 1. On trouve aussi un Heraclite dans la Batanée (Waddington, n° 21 \lx). Le tour de la phrase est singulier;
Selman et Heraclite paraissent les deux fils pour le salut desquels le monument est
élevé. Il est remarquable qu'à Kefr Bereim, à une ou deux lieues de Douaïr, nous
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1 Voir mes Observations sur les noms arabes de
VAuranitide, dans te Rullctin archéol. de MM. de
. Longpéricr et de Witte, sept. i856; Welzslein,
Inschriften, p. 2 64, 364.
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CAMPAGNE DE TYR. 677
trouverons une inscription hébraïque rappelant l'érection d'un oùSôs. Comparez aussi î"l^^nri,'î< de la grande inscription d'Oum el-Awamid. Les voeux de religion dans ce pays avaient souvent pour objet d'élever ces portes monumentales. (Cf. Waddington, n° 2 538 a; Vogué, Syrie centrale, Inscr. semii. p. îoo.) OvSôç est défini par Suidas : TO KUTO) TrjsB-vpas, ce qui convient très-bien à un linteau, comme est notre monu-
.
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Des deux côtés du palmier, se voient deux petites inscriptions :
ETAY AKT
MH nANHM
OYlÇ
Il n'est pas impossible qu'après ETAY il y ait un petit C. Il faut en tout cas lire
ÉTOVS CLKT, pvrfvbs 'usaLVYJiLov tç.-
L'année 32 î calculée d'après l'ère des Séleucides donnerait l'an 9 de J. C. date
beaucoup trop reculée pour le style du monument et de l'inscription.
D'après l'ère de Tyr, on aurait 195 après J. C. ce qui va bien. Le règne de Commode et celui de Sévère sont l'époque où s'élevèrent en Syrie le plus de monuments aux frais des indigènes. L'ère d'Antioche donnerait l'an 273, et certainement le style de la sculpture ne répugnerait pas à cette date. Il est difficile de voir quelque chose de plus barbare. Cette barbarie, il est vrai, est encore plus une affaire de province qu'une affaire de date. Le style de la torche de la Lune est caractéristique d'une basse époque. Les deux divinités sont Apollon et Diane, symbolisant le Soleil et la Lune. Les deux figures ont été martelées.
Doueïr a en outre une belle piscine à escalier, creusée dans le roc,
et d'autres travaux nombreux creusés aussi dans le roc, en particulier
des citernes. M. Gélis, qui le premier attira mon attention sur Doueïr et
Sclialaboun, en compta quinze. Les caveaux offrent les espèces de jours
de souffrance que nous remarquerons plus caractérisés à Sclialaboun.
Prés de Doueïr, est Sclialaboun (شلعبون.), nom qui répond proba-
blement au nom Wy?y& ou ^wW de la Bible 1, mais non à la localité
mentionnée dans Josué, xix, ^2, et dans d'autres endroits 2. Cette localité,
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1 Cette coïncidence me fut indiquée par les khouris
maronites du pays.
2 Knobel, sur Josué, xix, 42; Saulcy, deuxième
Voyage, II, p. 276, 276. H est possible que les
Danites émigrés vers le nord (Berlbeau, Zur Gesch.
der Israeliten, p. 288, 289), de même qu'ils donnè-
rent à Laïsch, après l'avoir prise, le nom de Dan,
aient transporté avec eux le nom de Schaalabbim,
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en effet, est dans la tribu de Dan, à l'ouest de Jérusalem. En tout cas
les beaux restes d'antiquité que possède Schalaboun ne sont nullement
juifs. On y remarque : i°une très-belle construction carrée, en très-
grandes pierres. En voici le croquis rapide pris par M. Gélis 1 :
2° Une autre construction, dont voici l'esquisse sommaire tracée par
le même :
A , enceinte de pierres de taille. — B, plate-forme de roc aplani. — C, trou circulaire peu profond.
— D, roc aplani. — EE, coupe suivant m n.
3° Deux très-beaux sarcophages sculptés (sur le petit mamelon),
ayant pour décoration une guirlande soutenue et relevée par un génie
ailé occupant le centre de la large face, raisins en pendeloques antéfixes
dans le sinus-de la guirlande. Aux bouts des deux sarcophages sont des
espèces de petits autels ou soutiens comme ceux que nous trouverons à
Oum el-Awamid;
au-dessus, dans l'un des sarcophages, sont deux lances
croisées et liées au point d'intersection par une couronne rappelant les
armes du sarcophage de Kneifedh. Ce tombeau me paraît du même temps
selon une habitude commune aux émigrés de tous les temps.
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1 Qu'il me soit permis de déposer ici l'expression
d'un vif regret pour la mort de cet officier distingué,
qui rendit à la mission les plus grands services, et
dont les relations personnelles eurent pour moi cl
pour les personnes qui m'accompagnaient un charme
extrême.
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CAMPAGNE DE TYR. 679
que celui de Kneifedh, et reporte la pensée vers l'époque des Hérodes,
des Ptolémées fils de Mennée, des Lysanias, des Zénodore, chefs arabes
inféodés à l'empire romain, adoptant les modes et le style grecs, ou bien
encore vers le mélange de moeurs grecques et arabes qui se produisit
à Palmyre et dans le Hauran au second siècle. Les armes, demi-romai-
nes, demi-arabes, qu'on voit sur les monuments de Schalaboun, feraient
croire que les aristocrates pour lesquels furent construits ces superbes
tombeaux appartenaient à la race qui prit la prépondérance, à l'époque
romaine, sur toute la ligne du Jourdain et de l'Anti-Liban. Sur ces grands
tombeaux de famille chez les Arabes ghassanides, voyez Caussin de Per-
ceval, Essai, II, p. 2/11 ; Hartwig Derenbourg dans le Journal Asiatique,
oct.-nov. 1868, p. 311,879.
k° Un autre sarcophage, très-beau encore, très-large, présentant des
acrotères démesurés, près de la construction carrée.
5° Un caveau d'un genre à part, avec des niches dans le vestibule. Je
le crois juif.
6° Deux autres caveaux du même genre contigus. Au-dessus de l'en-
trée de l'un, deux mains qu'on prendrait pour des fourchettes, si l'in-
tention d'y figurer cinq doigts n'était évidente. Cette sculpture semble mo-
derne; c'est peut-être le signe contrôle mauvais oeil. L'autre caveau a deux
chambres qui se suivent. La première chambre a été déblayée par les
chercheurs de trésors; mais ils n'ont pu enlever la pierre qui fermait l'en-
trée de la seconde chambre. Il y aurait là une fouille intéressante à faire.
Ce caveau paraît un de ceux qui peuvent le mieux donner l'idée du tom-
beau de Jésus 1.
Un des traits caractéristiques de ces trois caveaux, c'est une espèce de
jour de souffrance, percé près de l'entrée et destiné, quand la pierre était
roulée à la porte, à éclairer l'intérieur. Nous avons déjà trouvé cette par-
ticularité à Doueïr. Les sépultures phéniciennes et syriennes n'offrent
1 Voir Vie de Jésus (13e édition), p. /1/17, /168 ; Vogué, Les églises de Terre Sainte, p. 1 26 et suiv.
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aucune trace de la préoccupation de donner du jour à l'intérieur du tom-
beau. Les « cheminées » de Gébeil, d'Amrit, de Saïda ne pouvaient servir
à éclairer l'intérieur, puisqu'on les bouchait après la perforation du ca-
veau. Elles n'ont d'ailleurs aucune ressemblance avec l'espèce d'oeil-de-
boeuf dont nous parlons en ce moment. On remarquera sur toutes les
tombes de la région où nous sommes l'absence d'épitaphe, trait essentiel-
lement juif ou phénicien.
70 Schalaboun a aussi un caveau à niches; au-dessus on avait construit
une voûte comme à Hazour. Cette voûte est détruite, et le caveau est
maintenant plein d'eau.
On me parla, à deux reprises différentes, de sculptures à Bint-Gébeil.
Serait-ce là une confusion avec Doueïr et Schalaboun, localités voisines?
Yaron (^-l*), le f)$y nephtalite de Jos. xix, 381, a une importante
ruine qui mériterait une étude de la part d'un architecte. C'est un tertre
couvert de très-beaux matériaux, où des restes notoirement chrétiens se
mêlent à d'autres qui semblent provenir d'un temple païen. Ce n'est sûre-
ment pas une synagogue, comme on a cru pouvoir le supposer. II y a
là d'assez bons chapiteaux corinthiens, d'autres portant une croix, qui
paraissent de ce style du temps de Justinien, qui a laissé tant de traces
en Syrie; il y a aussi de belles pierres de frise, à plates-bandes fines,
qui rappellent les linteaux d'Oum el-Awamid. Au pied du tertre, sont
des couvercles de sarcophages à acrotères présentant une sorte de cloison
au milieu. Au-dessous, est un beau puits rond, à escalier, bâti en pierres
détaille. Plus bas encore, est une piscine, avec une construction, sorte
de sacellum, à côté.
A l'angle de la porte de la mosquée métualie, il y a un bloc dont deux
côtés sont visibles. Sur l'un de ces côtés se voit un palmier bien sculpté 2;
1 Nau, Seetzen, Monro, Robinson, Van de Velde,
Thomson l'ont visité : voir Ritter, XVI, p. 78U,
785; Robinson, II, p. 467 ; Van de Velde, I,
p. 133; Thomson, I, p. Zi35; Seetzen, 2e partie,
p. 123; Comm. p. 3oi; Knobel, Commentaire sur
Josué, p. Z169.
2 Sur le symbole du palmier en Phénicie, voir
Schroeder, Die Phoen. Spr. pi. xvin, nos 10 ; ii-